Du théâtre par et pour les patients, au cœur de l’hôpital : l’expérience du « Théâtre du vécu » en diabétologie

Du théâtre par et pour les patients, au cœur de l’hôpital : l’expérience du « Théâtre du vécu » en diabétologie

Comment cela a commencé….

«  En tant que médecin, nous ne savons pas lire le langage des patients. Mais vous, les artistes qui travaillez avec le vécu des gens, vous pourriez nous aider ». Professeur Jean-Philippe Assal, diabétologue et « pionnier » de l’éducation thérapeutique, à Marcos Malavia*, metteur en scène et acteur de théâtre

De cette rencontre, est né l’art théâtral au service des patients et depuis 2010, ce théâtre est invité dans l’Unité d’Education Thérapeutique du service de Diabétologie-Métabolisme au sein de l’Institut E3M.

Les patients diabétiques transformés en metteurs en scène

Parallèlement à une prise en charge « bio-médicale » traditionnelle (bilan de la maladie, ajustement des médicaments) avec un apprentissage individualisé de la gestion du traitement (équilibre alimentaire, ajustement des doses d’insuline), vient s’inscrire un temps pour l’expression du vécu émotionnel de la maladie à travers cette médiation qu’est le Théâtre du Vécu. Les ateliers se déroulent sur trois jours dans le cadre d’une hospitalisation programmée d’une semaine, pour des patients en difficulté avec leur maladie.

  • Le premier jour, les volontaires (entre 5 et 7, écrivent une histoire dans le cadre d’un atelier d’écriture, sous la direction du metteur en scène Marcos Malavia. Il s’agit d’un dialogue ou monologue, qui relate une expérience personnelle de vie, en rapport ou non avec leur diabète. A la fin de la journée chaque participant lit son texte au reste du groupe.
  • Le deuxième jour, ces récits sont relus par deux comédiens professionnels.

Ensuite chaque participant commence individuellement et à tour de rôle la mise en scène de son texte. Le patient dirige les acteurs, aménage la scène, aidé par le metteur en scène professionnel tout au long du processus. Ainsi le patient est transformé en metteur en scène de théâtre.

  • Le troisième jour, l’ensemble des scènes est représenté, joué par des acteurs. Le patient joue alors le rôle de metteur en scène conseillé par le professionnel.
  • Lorsque la saynète est prête, le patient rejoint les spectateurs (autres patients et équipe soignante), pour assister à la représentation de sa pièce.

Le patient est donc à la fois le sujet de la pièce, l’auteur du texte, le metteur en scène, puis le spectateur. Il ne s’agit donc pas d’un jeu de rôle ni d’un psychodrame. L’expression artistique permet la mise à distance vis-à-vis de sa propre souffrance. Elle mobilise des ressources créatives qui peuvent augmenter le sentiment de maîtrise sur sa propre maladie. La mise en scène du « je » crée un « jeu » qui permet parfois de débloquer des traumatismes psychiques encastrés. Grâce au théâtre, une histoire banale presque toujours douloureuse devient une aventure belle et émouvante dont le patient est le héros et qu’il peut partager avec les spectateurs, processus de réparation narcissique qui aide à cicatriser les blessures et à donner un sens au combat quotidien.

Le jeu des scènes de théâtre est également l’occasion d’une contagion émotionnelle touchant les patients mais également les soignants dans une empathie en miroir. Comme il a été montré que celle-ci est corrélée avec la qualité de l’adhésion aux traitements par les patients et avec l’amélioration des résultats bio-médicaux, cet effet collatéral des représentations est intéressant.       

La théorie à l’origine des séances de théâtre du vécu

Le concept repose sur l’idée qu’il est bénéfique de permettre aux patients d’exprimer leur vécu émotionnel de la maladie, pour les aider à se soigner. Mais cette expression prend tout son sens si elle est médiée par un processus artistique.

Les mécanismes de défenses psychologiques à l’annonce d’un diagnostic de maladie chronique, s’ils peuvent protéger initialement en évitant l’effondrement psychique, peuvent en se chronicisant mettre en cause la qualité de vie ou même la vie. Ainsi, certains patients diabétiques, pourtant informés et lucides, se mettent en danger en renonçant à appliquer rationnellement leur traitement (une alimentation adaptée, des mesures régulières de la glycémie, une adaptation des doses d’insuline au repas…). D’autres, pour lutter contre le stress psychique induit par le mauvais vécu de leur diabète, peuvent développer des addictions, des comportements à risque…

L’éducation thérapeutique, aujourd’hui reconnue pour son efficacité dans la prise en charge des maladies chroniques, a pour objectif de dispenser aux patients des informations sur leur maladie et leur traitement, et vise à les aider à mettre en œuvre ces nouveaux savoirs dans la vie de tous les jours. Or, il arrive que le patient sache, sache faire, et pourtant ne fasse pas. Le danger est grand pour le médecin dans cette situation d’échec de se contenter de répéter les conseils et les prescriptions judicieuses fondées sur des preuves scientifiques, tandis que le patient s’enferme dans sa souffrance faute de pouvoir la communiquer.

Il est alors essentiel que le patient puisse analyser les raisons de ses difficultés en exprimant son vécu émotionnel de la maladie, afin d’avancer et parfois de débloquer certaines situations. Le Théâtre du Vécu s’inscrit dans cette volonté de permettre à la personne d’exprimer sa relation intime avec la maladie. Comme le suggère Marcos Malavia*, « la souffrance est un brouillard, un nuage sans forme. Si les patients parviennent à raconter ce nuage qui les habite, il prend alors forme avec la mise en scène et cette mise à distance rend la souffrance plus facile à apprivoiser ».

*Marcos Malavia revendique deux maîtres au Théâtre : Marcel Marceau, dont il est diplômé de l’École et Jean-Louis Barrault, dont il fut assistant. Il a un Master d’Études Théâtrale (Université Paris 8). Il est co-directeur de la Compagnie Sourous. Il est également directeur et fondateur de l’Ecole Nationale de Théâtre de Bolivie.